Sujet :

Dans une classe de Seconde, vous entreprenez d’étudier le groupement de textes suivant, en liaison avec l’objet d’étude : « La poésie du XIXe au XXe siècle : du romantisme au surréalisme ». Dans une composition argumentée, vous définirez votre projet d’ensemble et ses modalités d’exécution en justifiant vos choix.

Texte 1 : Benjamin PERET, « La Semaine pâle », Le grand Jeu, 1928.Bonomots

Blonde blonde
était la femme disparue entre les pavés
si légers qu’on les aurait crus des feuilles
si grands qu’on eût dit des maisons

C’était je m’en souviens un lundi
jour où le savon fait pleurer les astronomes

Le mardi je la revis
semblable à un journal déplié
flottant aux vents de l’Olympe
Après un sourire qui fila comme une lampe
elle salua sa sœur la fontaine
et retourna dans son château

Mercredi nue blême et ceinte de roses
elle passa comme un mouchoir
sans regarder les ombres de ses semblables
qui s’étendaient comme la mer

Jeudi je ne vis que ses yeux
signaux toujours ouverts pour toutes les catastrophes
L’un disparut derrière quelque cervelle
et l’autre fut avalé par un savon

Vendredi quand on aime
est le jour des désirs
Mais elle s’éloigna en criant
Tilbury tilbury ma flûte est perdue
Va-t-en la rechercher sous la neige ou dans la mer

Samedi je l’attendais une racine à la main
prêt à brûler en son honneur
les astres et la nuit qui me séparaient d’elle
mais elle était perdue comme sa flûte
comme un jour sans amour

Et j’attendais dimanche
mais dimanche ne vint jamais
et je restai dans le fond de la cheminée
comme un arbre égaré

Texte 2 : André BRETON, Nadja, 1928.

Breton-NadjaLe jour baisse. Afin d’être seuls, nous nous faisons servir dehors par le marchand de vins. Pour la première fois, devant le repas, Nadja se montre assez frivole. Un ivrogne ne cesse de rôder autour de notre table. Il prononce très haut des paroles incohérentes, sur le ton de la protestation. Parmi ces paroles reviennent sans cesse un ou deux mots obscènes sur lesquels il s’appuie. Sa femme, qui le surveille derrière les arbres, se borne à lui crier de temps à autre : « Alors, tu viens ? » J’essaie à plusieurs reprises de l’écarter, mais en vain. Comme arrive le dessert, Nadja commence à regarder autour d’elle. Elle est certaine que sous nos pieds passe un souterrain qui vient du Palais de Justice (elle me montre de quel endroit du Palais, un peu à droite du perron blanc) et contourne l’hôtel Henri IV. Elle se trouble à l’idée de ce qui s’est déjà passé sur cette place et de ce qui s’y passera encore. Où ne se perdent en ce moment dans l’ombre que deux ou trois couples, elle semble voir une foule. « Et les morts, les morts ! » L’ivrogne continue de plaisanter lugubrement. Le regard de Nadja fait maintenant le tour des maisons. « Vois-tu, là-bas, cette fenêtre ? Elle est noire, comme toutes les autres. Regarde bien. Dans la minute elle va s’éclairer. Elle sera rouge. » La minute passe. La fenêtre s’éclaire. Il y a, en effet, des rideaux rouges (je regrette, mais je n’y puis rien, que ceci passe peut-être les limites de la crédibilité. Cependant, à pareil sujet, je m’en voudrais de prendre parti : je me borne à convenir que de noire, cette fenêtre est alors devenue rouge, c’est tout). J’avoue qu’ici la peur me prend, comme aussi elle commence à prendre Nadja. « Quelle horreur ! Vois-tu ce qui se passe dans les arbres ? Le bleu et le vent, le vent bleu. Une seule autre fois j’ai vu sous ces mêmes arbres passer ce vent bleu. C’était là, d’une fenêtre de l’hôtel Henri IV, et mon ami, le second dont je t’ai parlé, allait partir. Il y avait aussi une voix qui disait : « Tu mourras, tu mourras. » Je ne voulais pas mourir mais j’éprouvais un tel vertige… Je serais certainement tombée si l’on ne m’avait pas retenue. » Je crois qu’il est grand temps de quitter ces lieux ; le long des quais je la sens toute tremblante. C’est elle qui a voulu revenir vers la Conciergerie. Elle est très abandonnée, très sûre de moi. Pourtant elle cherche quelque chose, elle tient absolument à ce que nous entrions dans une cour, une cour de commissariat quelconque qu’elle explore rapidement. « Ce n’est pas là… Mais, dis-moi, pourquoi dois-tu aller en prison ? Qu’auras-tu fait ? Moi aussi j’ai été en prison. Qui étais-je ? Il y a des siècles. Et toi, alors, qui étais-tu ? » Nous longeons de nouveau la grille quand tout à coup elle refuse d’aller plus loin. Il y a là, à droite, une fenêtre en contrebas qui donne sur le fossé et de la vue de laquelle il ne lui est plus possible de se détacher. C’est devant cette fenêtre qui a l’air condamnée qu’il faut absolument attendre, elle le sait. C’est de là que tout peut venir ; c’est là que tout commence. Elle se tient des deux mains à la grille pour que je ne l’entraîne pas. Elle ne répond presque plus à mes questions. De guerre lasse, je finis par attendre que de son propre gré elle poursuive sa route. La pensée du souterrain ne l’a pas quittée et sans doute se croit-elle à l’une de ses issues. Elle se demande qui elle a pu être, dans l’entourage de Marie-Antoinette. Les pas des promeneurs la font longuement tressaillir. Je m’inquiète et, lui détachant les mains l’une après l’autre, je finis par la contraindre à me suivre. Plus d’une demi-heure s’est ainsi passée. Le pont traversé, nous nous dirigeons vers le Louvre. Nadja se montre toujours aussi distraite. Pour la ramener à moi, je lui dis un poème de Baudelaire mais les inflexions de ma voix lui causent une nouvelle frayeur aggravée du souvenir qu’elle garde du baiser de tout à l’heure : « un baiser dans lequel il y a une menace ». Elle s’arrête encore, s’accoude à la rampe de pierre d’où son regard, et le mien, plongent dans le fleuve à cette heure étincelant de lumières : « Cette main, cette main sur la Seine, pourquoi cette main qui flambe sur l’eau ? C’est vrai que le feu et l’eau sont la même chose. Mais que veut dire cette main ? Comment l’interprètes-tu ? Mais laisse-moi voir cette main. Pourquoi veux-tu que nous nous en allions ? Que crains-tu ? Tu me crois très malade, n’est-ce pas ? Je ne suis pas malade. Mais qu’est-ce que cela veut dire pour toi : le feu et l’eau, une main de feu sur l’eau ? (Plaisantant : Bien sûr ce n’est pas la fortune : le feu et l’eau, c’est la même chose ; le feu et l’or c’est tout différent. »

Texte 3 : Robert DESNOS, « J’ai tant rêvé de toi… », Corps et Biens, 1930.Desnos-J'ai tant rêvé de toi

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant ton ombre, à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.

Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

Ô balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venus.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

Texte 4 : André BRETON, « l’Union libre », Clair de terre, 1931.

Breton

Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d’éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquets d’étoiles de dernière grandeur
Aux dents d’empreinte de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâton d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d’allumette
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint Jean
De troène et de nids de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d’initiales
Aux pieds de trousseaux de clefs aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d’orge imperlé
Ma femme à la gorge de val d’or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux sens de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d’amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque
Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu

Texte 5 : Paul ELUARD, « Tu te lèves… », Les yeux fertiles, 1936.Eluard-Les Yeux fertiles

Tu te lèves l’eau se déplie
Tu te couches l’eau s’épanouit

Tu es l’eau détournée de ses abîmes
Tu es la terre qui prend racine
Et sur laquelle tout s’établit

Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits
Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes de l’arc-en-ciel,
Tu es partout tu abolis toutes les routes

Tu sacrifies le temps
À l’éternelle jeunesse de la flamme exacte
Qui voile la nature en la reproduisant

Femme tu mets au monde un corps toujours pareil
Le tien

Tu es la ressemblance

Texte 6 : Louis ARAGON, « Un homme passe sous la fenêtre et chante », Elsa, 1959.

Aragon

Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux
Comme la vitre pour le givre
Et les vêpres pour les aveux
Comme la grive pour être ivre
Le printemps pour être amoureux
Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux

Toi qui avais des bras des rêves
Le sang rapide et soleilleux
Au joli mois des primevères
Où pleurer même est merveilleux
Tu courais des chansons aux lèvres
Aimé du Diable et du Bon Dieu
Toi qui avais des bras des rêves
Le sang rapide et soleilleux

Ma folle ma belle et ma douce
Qui avais la beauté du feu
La douceur de l’eau dans ta bouche
De l’or pour rien dans tes cheveux
Qu’as-tu fait de ta bouche rouge
Des baisers pour le jour qu’il pleut
Ma folle ma belle et ma douce
Qui avais la beauté du feu

Le temps qui passe passe passe
Avec sa corde fait des nœuds
Autour de ceux-là qui s’embrassent
Sans le voir tourner autour d’eux
Il marque leur front d’un sarcasme
Il éteint leurs yeux lumineux
Le temps qui passe passe passe
Avec sa corde fait des nœuds

Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux
Le monde l’est lui pour y vivre
Et tout le reste est de l’hébreu
Vos lois vos règles et vos bibles
Et la charrue avant les bœufs
Nous étions faits pour être libres
Nous étions faits pour être heureux

Document 7 : Man RAY, Electricité, 1931

Man Ray-Electricité

Document 8 : René MAGRITTE, La Magie noire, 1933.

Magritte-La Magie noire

Dissertation

« Nous étions faits pour être libres », écrit Louis Aragon en 1959 comme s’il se retournait avec nostalgie sur sa jeunesse, son amour défunt, mais aussi sur les espoirs des poètes d’alors, espoirs bâtis sur les ruines de la « grande guerre » et anéantis par le deuxième conflit mondial. Cette liberté est en effet au cœur du mouvement surréaliste, aventure collective proposant une révolution esthétique dont l’influence débordera largement les limites de l’entre-deux-guerres : il s’agit de libérer l’art des contraintes de la raison – qui n’a pas pu éviter le carnage de 1914-1918 – pour explorer les domaines jusqu’alors négligés de l’imaginaire et de l’inconscient. Pour André Breton, chef de file et théoricien du mouvement, réalité et rêve sont des « vases communicants » et le poète a pour tâche de retrouver le « fil conducteur » qui les relie. Or, comme l’atteste le corpus soumis à notre étude, la femme aimée apparaît comme un guide – difficile à suivre, certes, car fuyant tel le lapin blanc d’Alice aux pays des merveilles – dans les méandres du rêve et de la réalité se confondant dans une même vision poétique. Le corpus se compose en effet de six poèmes (même si ce terme sera à nuancer pour Nadja) auxquels viennent s’ajouter une photographie de Man Ray, Electricité (1931) et un tableau de Magritte intitulé La Magie noire (1933). Proposés à une classe de Seconde dans le cadre de l’objet d’étude « La poésie du XIXe au XXe siècle : du romantisme au surréalisme », ces poèmes apparaissent tous comme une célébration de la femme aimée, femme-fée, femme-muse, qui, par la magie de l’amour, métamorphose le regard porté sur le monde : un poème de Benjamin Péret, « La Semaine pâle », extrait du Grand Jeu, recueil publié en 1928 ; un extrait de Nadja, récit poétique d’une rencontre amoureuse qui, par sa forme, s’apparente au genre du poème en prose ; le célèbre poème de Robert Desnos, « J’ai tant rêvé de toi », publié en 1930 dans Corps et Biens ; « L’Union libre », blason d’André Breton publié en 1931 dans Clair de terre ; « Tu te lèves » de Paul Eluard, extrait des Yeux fertiles (1936) et, enfin, un poème de Louis Aragon, « Un homme passe sous la fenêtre et chante » qui, publié en 1959 dans Elsa, se distingue des autres textes du corpus par sa forme très régulière, mais aussi par sa date de publication qui ne permet pas de l’associer directement au mouvement surréaliste. Cette mise à distance du surréalisme sera l’occasion d’approfondir la réflexion sur l’évolution des formes poétiques au XXe siècle. Le corpus présente donc une forte unité : générique (la poésie), historique (le mouvement surréaliste), thématique (la célébration de la femme aimée et le rêve) et expressive (le registre lyrique). Dans une perspective d’histoire littéraire et culturelle, sur laquelle les nouveaux programmes de lycée mettent l’accent, nous nous efforcerons de montrer comment les poètes et artistes surréalistes ont su renouveler l’expression du lyrisme amoureux et l’image de la muse. Comme les poètes de la Renaissance – Pétrarque puis les poètes de la Pléiade – Péret, Desnos, Breton, Eluard et Aragon chantent leurs muses, mais celles-ci sont tombées du Parnasse dans la réalité quotidienne dont elles vont révéler le merveilleux. Nous verrons donc comment la muse, ou plutôt la « femme-fée », permet d’accéder à la « surréalité », c’est-à-dire à la face cachée de la réalité, au merveilleux dissimulé dans le quotidien, jusqu’au point ultime où fusionnent le réel et l’imaginaire.

« La muse surréaliste, clé des songes », tel pourrait être le titre, volontairement énigmatique, d’une séquence que nous placerions en fin de troisième trimestre dans la mesure où elle nécessite de nombreux prérequis de la part des élèves. Pour aborder la notion de « modernité » qu’amène forcément l’étude du mouvement surréaliste, il convient en effet d’avoir étudié au préalable des poèmes « traditionnels ». Le nouveau programme de Seconde, qui marque l’heureuse réapparition de la poésie en tant qu’objet d’étude spécifique, impose des limites chronologiques dans le choix des mouvements étudiés (du romantisme au surréalisme) mais permet « d’élargir et de structurer la culture littéraire des élèves » par la lecture complémentaire de textes débordant ces limites. Notre séquence pourrait donc suivre l’étude d’une « partie substantielle » des Poésies de Musset, dont les « Nuits » où l’adresse à la Muse est particulièrement présente, étude permettant une mise en parallèle avec deux ou trois sonnets de Du Bellay ou Ronsard. L’approche du genre poétique et du registre lyrique, ainsi que les éléments de versification traditionnels, est nécessaire, en amont, à la mise en œuvre d’une séquence s’inscrivant dans une perspective d’histoire littéraire et culturelle. Celle-ci s’organisera autour de trois axes problématiques. Il s’agira de montrer que le mouvement surréaliste affirme une volonté de libérer l’écriture, libération qui s’obtient d’abord en généralisant l’effacement de la ponctuation dont Apollinaire, le précurseur, eut l’initiative dès 1913 dans Alcools, procédé que l’on retrouve dans tous les poèmes du corpus, à l’exception de celui de Robert Desnos. En supprimant la ponctuation, les poètes suppriment le cadre logique de l’organisation du discours et la parole n’est plus contrainte par la syntaxe, mais guidée seulement par le rythme, les mots et leur pouvoir d’évocation. Cette libération de l’écriture vient aussi de l’importance donnée au hasard, libre association des idées, des mots et des sons, superposition, collage et montage, procédés que l’on trouve aussi bien dans les poèmes du corpus (particulièrement dans « Union libre » d’André Breton) que dans les œuvres de Man Ray et de Magritte. Mais cette libération de l’écriture passe également – et ce sera notre deuxième axe – par une libération de l’inconscient. Inspirés par les récentes découvertes de la psychanalyse, les surréalistes veulent abolir le contrôle de la logique et de la raison sur la parole et laisser libre cours à des forces ignorées par la conscience même. L’inconscient, sous toutes ses formes, doit ainsi permettre d’accéder par le poème à la « surréalité », c’est-à-dire à un envers caché de la réalité, au « merveilleux » dissimulé dans le quotidien. L’objectif, selon Breton, du poète surréaliste, est « la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité » (Manifeste du Surréalisme, 1924). L’ensemble de notre corpus, tout comme celui de la production surréaliste, baigne ainsi dans un climat onirique. Le rêve est à la fois le moteur et l’objet de l’écriture puisqu’il correspond à la forme de pensée la moins entravée et la plus proche de l’inconscient. Ainsi, c’est par le rêve que la poésie, véritable « sorcellerie évocatoire », pour reprendre l’expression de Baudelaire, transforme et transfigure le réel. Les images qu’il fait naître, proches de la vision ou de l’hallucination, comme nous le verrons à travers l’étude du corpus, correspondent à la forme la plus accomplie du surréel que ces poètes convoquent. Enfin, le corpus attirera l’attention sur l’image et le rôle de la femme qui, par la magie de l’amour, métamorphose le regard porté sur le monde et permet au poète (et à son lecteur) d’accéder à la surréalité. Même s’ils prônent la modernité en littérature, les surréalistes renouent par ailleurs avec une partie de la tradition en consacrant une part importante de leurs œuvres à l’amour et à la femme aimée. Comme Pétrarque ou Ronsard, les poètes surréalistes chantent leur muse : Nadja pour Breton, Gala pour Eluard, Elsa pour Aragon, Yvonne George pour Desnos… L’expression du lyrisme amoureux qui domine dans le surréalisme évoque en effet, tout en le renouvelant, celui de la Renaissance. Il s’agira donc aussi de montrer, à travers notre séquence, les effets de continuité et de ruptures propres au mouvement étudié.

 

Une première séance d’une heure permettra aux élèves de prendre connaissance de cinq des six textes du corpus. Le poème d’Aragon, parce qu’il se distingue des autres, comme nous l’avons déjà évoqué, sera l’objet d’un commentaire ultérieur. Cette séance sera l’occasion d’un premier repérage thématique – l’amour, le rêve, la femme insaisissable, la fusion des éléments, la fuite du temps – et stylistique – l’absence de ponctuation, le choix du vers libre, le registre lyrique. Il s’agira d’amener les élèves à formuler des hypothèses de lecture, à exprimer leur étonnement face à cette esthétique de la surprise. L’explication du titre choisi pour la séquence, posé comme une énigme, permettra ensuite de problématiser l’étude du corpus : « La muse surréaliste, clef des songes ». Que peut signifier ce mot étrange : « surréaliste » ? En quoi la femme, source d’inspiration, peut-elle donner accès au rêve ? L’expression « clef des songes », allusion à la thématique onirique du corpus, sera aussi l’occasion d’évoquer Magritte, auteur du tableau du même nom, au titre déroutant, et de faire ainsi le lien avec l’histoire des arts, perspective devenue essentielle dans les nouveaux programmes de lycée.

La deuxième séance, d’une durée de deux heures, sera consacrée au poème de Paul Eluard, « Tu te lèves », auquel sera associée l’analyse du tableau de René Magritte, La Magie noire, qui montrera d’emblée le lien entre la littérature et la peinture. Dans le poème comme dans le tableau, la femme apparaît en effet comme une créature divine en parfaite symbiose avec la nature et ses éléments. Le regard de l’artiste sublime le corps féminin et l’inscrit dans l’éternité : « Tu sacrifies le temps/ A l’éternelle jeunesse de la flamme exacte/ Qui voile la nature en la reproduisant », « Femme tu mets au monde un corps toujours pareil/ Le tien », écrit Eluard, transformant la femme en force créatrice tout en célébrant sa beauté éternelle et universelle. De même, dans La Magie noire, la femme apparaît comme une divinité se fondant dans la nature, effet créé par la composition du tableau et le choix des couleurs. La femme est au centre mais semble coupée en deux par la ligne horizontale et l’opposition des couleurs : le bas du corps a la teinte claire de la peau mais aussi du rocher contre lequel elle s’appuie ; le buste, quant à lui, s’estompe en prenant la couleur du ciel vespéral de l’arrière plan. Comme dans le poème d’Eluard (et les autres poèmes du corpus), la femme s’efface, s’estompe, devient une créature insaisissable, un être fuyant dans le rêve ou fusionnant avec la nature. Le bas du tableau présente une forme de réalisme avec une représentation du sexe féminin, mais celui-ci s’estompe dans l’ombre du rocher noir qui occupe toute la partie droite du tableau. Celui-ci présente ainsi un fort contraste : entre les lignes de force, horizontales et verticales, entre les couleurs claires et foncées, chaudes et froides, mais aussi entre l’ombre et la lumière, le rêve et la réalité. La mer et le ciel, qui se rejoignent à l’arrière-plan, renforcent l’impression d’infini et d’éternité. La perfection du corps nu et des traits du visage apparente la femme à la déesse de la beauté et de l’amour ; d’ailleurs le tableau n’est pas sans évoquer la Vénus de Milo dont il peut même apparaître comme une « réécriture ». Cet effet est renforcé par la présence insolite de la colombe, perchée sur l’épaule de la femme comme sur celle d’une statue Mais l’oiseau, à la forte portée symbolique, empêche aussi le corps de se fondre complètement dans les éthers et raccroche ainsi la femme à une forme de réalité. La femme apparaît donc comme un être mystérieux, à la frontière du rêve et de la réalité. Le rêve est aussi suggéré par le regard absent – voire les paupières closes – du visage qui s’estompe. « Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre »….

Dans le poème d’Eluard, la femme se fond dans les éléments au point de devenir la nature elle-même : « Tu es l’eau détournée de ses abîmes/ Tu es la terre qui prend racine », « Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits ». Elle est le point ultime où fusionnent les contraires, comme le montre le jeu des antithèses. Par le pouvoir des images, notamment des métaphores qui permettent au merveilleux de jaillir, le poème opère une véritable synesthésie : « Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes de l’arc-en-ciel ». L’évocation du chant célèbre la muse inspiratrice et, si le poète est absent, c’est parce qu’il se fond lui aussi dans cette force créatrice qui permet de transcender le réel. Cette célébration de la femme, au présent gnomique facteur d’éternité, est une célébration de la poésie : « Tu es la ressemblance ». On retrouve ce jeu de trompe-l’œil dans le tableau de Magritte dont le titre, La Magie noire, déroutant comme tous ceux de l’artiste dénonçant ainsi l’arbitraire du signe, n’est pas sans rappeler la « sorcellerie évocatoire » de Baudelaire… Poésie et peinture s’associent ainsi pour dénoncer la trahison des images et la trahison du langage, et permettre au lecteur/spectateur d’accéder à la surréalité.

La troisième séance sera consacrée à la lecture analytique du poème de Desnos, le « dormeur formidable » dont les séances de sommeil hypnotique révèlent une capacité impressionnante à « parler ses rêves », pour reprendre les mots d’Aragon. Nous verrons comment, dans ce poème dédié à « la mystérieuse » Yvonne George, vedette de music-hall alors décédée, la femme est à la fois créature de rêve et créature du rêve.

L’anaphore entêtante « j’ai tant rêvé de toi » témoigne de la fusion des amants dans le rêve, et le syntagme vocatif « balances sentimentales », au cœur du poème, illustre l’oscillation, le va-et-vient entre rêve et réalité, entre veille et sommeil. Les versets de ce poème tiennent leur pouvoir hypnotique des répétitions, des anaphores, du bercement lancinant des allitérations en [r], mais aussi de l’étrangeté des images, telle la métaphore sur laquelle se clôt le poème : « le cadran solaire de ta vie » fait d’Yvonne George une figure lumineuse sur laquelle se dessine, par un curieux effet de surimpression, la silhouette sombre du poète. Pour Breton, l’image la plus forte est « celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé ». Le rêve donne de la force à ces images car il laisse s’exprimer l’inconscient. Desnos, comme tout le groupe surréaliste, a été très influencé par les travaux de Freud. Le rêve rend possible, en effet, la « dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison », pour reprendre en partie la définition donnée par André breton dans son Manifeste, en 1924. La métaphore, figure de prédilection des écrivains du mouvement, permet de « court-circuiter » la réalité grâce à sa concentration extrême et sa « vitesse de transmission », analysée par Georges Mounin dans La Communication poétique. Elle n’est plus similitude – comme la comparaison – mais identification et permet ainsi cette fusion des contraires ouvrant l’accès à la surréalité. On étudiera donc particulièrement cette figure d’analogie dans le cadre de cette séance.

Le poème s’ouvre sur l’antithèse « rêve » / « réalité » mais, au fur et à mesure des versets, le « corps vivant » – qui relie à la réalité – est absorbé par la puissance du rêve et devient « ombre », terme dont on trouve quatre occurrences et auquel fait écho le mot « fantôme ». La femme-muse a entraîné le poète dans l’univers du rêve : « il n’est plus temps sans doute que je m’éveille ». Il devient à son tour « ombre », « fantôme », mais l’univers du rêve reste empreint de sensualité, comme en témoigne l’isotopie du corps, l’évocation du baiser et l’expression oxymorique « couché avec ton fantôme » qui, en mêlant le concret et l’abstrait, le corps et l’esprit, la vie et la mort, permet d’atteindre le « point ultime » recherché par les surréalistes : la fusion des contraires et, par-là même, la fusion de la poésie et du réel. La question du deuxième verset (« Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m’est chère ? ») trouve sa réponse dans la forme même du poème, mise en espace et en musique de cette quête du sens à travers les méandres du rêve et du langage. Desnos descend au fond de son « subconscient » comme Orphée descend aux enfers pour y rechercher la femme aimée. Le pouvoir hypnotique du « chant magique » permet de conjurer l’absence, de lui donner une présence plus « réelle » que la réalité même.

La quatrième séance proposera, en deux heures, une étude du poème de Breton, « L’Union libre », axée principalement sur les procédés d’écriture, notamment la métaphore, figure poétique permettant au merveilleux de jaillir. Il ne s’agira pas, toutefois, de ne faire du texte qu’un prétexte mais de mettre en lumière l’originalité de l’image surréaliste qui permet de recréer la femme aimée et le monde qui l’entoure. Ce poème s’apparente à l’art du collage et transforme la femme en créature merveilleuse et insaisissable, elle aussi créature de rêve et créature du rêve, comme dans le poème de Desnos. La femme aimée est « anatomisée » : chaque partie de son corps est évoquée, même les plus intimes (« aisselles », « fesses », « sexe »). Mais l’association de réalités éloignées par le biais de la métaphore transforme le blason en portrait onirique. On peut inviter les élèves à repérer des catégories dans le choix des images. On trouve en effet tout un bestiaire pouvant rappeler la nature « animale » et sensuelle de la femme : « loutre », « souris », « dauphins », « martre », « oiseau », « cygne », « ornithorynque ». L’aspect hétéroclite de l’énumération laisse penser que le poète a écrit sous la dictée de son inconscient, écriture automatique qui est l’un des moyens d’accéder au surréel. Au bestiaire s’ajoutent en effet les champs lexicaux du minéral, du végétal, des objets quotidiens (« bâtons d’écriture », « trousseau de clés »…), prolifération d’images surréalistes suggérant l’étrangeté du rêve dans lequel les « yeux » de la femme, sur lesquels se clôt le blason, entraînent le poète. Le dernier vers évoque – comme à la fin de Nadja – le point ultime, la fusion des éléments : « Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu ». On pourra faire remarquer que certaines métaphores sont moins hermétiques que d’autres, moins insolites, comme c’est le cas, par exemple, de « Ma femme aux jambes de fusée », image qui évoque à la fois la forme fuselée des jambes et la fuite rapide. Le premier vers, également, « Ma femme à la chevelure de feu de bois », suggère des cheveux flamboyants. Le vers le plus « normal » est toutefois celui où le poète évoque les « yeux pleins de larmes » de sa femme. Les élèves seront également amenés à repérer certaines allitérations ou assonances participant à la poésie du texte : allitération en [m] de « Ma femme aux mollets de moelle », assonance en [a] de « Ma femme à la gorge de Val d’or »…

Cette étude sera l’occasion d’un exercice d’écriture ludique où les élèves auront à produire un portrait surréaliste reprenant les mêmes procédés d’écriture : anaphores et métaphores insolites faisant jaillir le « merveilleux » qui, pour André Breton, est « toujours beau ».

La cinquième séance, d’une durée de deux heures, proposera une étude de l’extrait de Nadja, récit au présent de narration que son contenu poétique et énigmatique apparente au genre du poème en prose. Nous demanderons aux élèves de repérer les thèmes étudiés dans les textes précédents afin de proposer une problématique et des hypothèses de lecture les préparant à la méthode du commentaire. Le personnage éponyme apparaît comme un être mystérieux, à la frontière du réel et du rêve. Au cours de la promenade dans le quartier de la Conciergerie se superposent en effet le présent et le souvenir du passé, le rêve, l’hallucination et la réalité. Le lecteur se trouve dans la position du narrateur auquel il peut s’identifier par le biais de la première personne : déconcerté par l’irruption de l’insolite dans la réalité – ce qui est une caractéristique du récit fantastique – il est tenté de croire à la folie de Nadja (« Tu me crois très malade, n’est-ce pas ? ») mais est confronté aux preuves du surgissement du rêve dans les rues de Paris. Cette superposition du passé et du présent, ce souvenir d’une vie antérieure ne sont pas propres aux surréalistes. On les trouve en effet déjà chez les écrivains romantiques : Nerval, par exemple, dans Les Filles du feu, se souvient d’un passé antique qui ressurgit dans la vision poétique. Le passé devient un mystère, une énigme à déchiffrer, comme en témoignent les nombreuses questions de Nadja. Celle-ci oblige le narrateur à voir le monde à travers son propre regard et l’entraîne avec elle dans l’univers du rêve (« qui étais-je ? », « Et toi alors, qui étais-tu ? »), rêve qui n’est pas dénué d’angoisse comme le révèle l’isotopie de la peur qui parcourt le texte (« lugubrement », « peur », « horreur », « tremblante », « tressaillir », « inquiète », « frayeur », « menace »). Nadja apparaît donc comme une muse mystérieuse donnant accès à la surréalité et s’inscrivant dans une longue tradition de femmes désormais disparues.

La sixième séance, d’une durée de deux heures, sera construite autour du poème d’Aragon, qui, publié en 1959, est teinté de regret et s’éloigne des procédés propres au surréalisme en marquant, plus nettement encore, son inscription dans la tradition poétique. Ce poème en strophes carrées, dont la régularité est renforcée par la reprise, à la fin de chaque strophe, des deux premiers octosyllabes, chante le regret de la jeunesse et de l’amour perdus. Elsa, la muse, n’est plus et, la guerre terminée, n’incarne plus non plus la France martyrisée. Elle reste la femme aimée disparue et apporte au poème une tonalité élégiaque. L’expression du regret est traduite par la présence de l’imparfait et le thème traditionnel de la fuite du temps. On peut toutefois distinguer deux parties s’articulant autour de la strophe centrale qui marque une charnière dans ce poème en miroir : dans la première partie, Aragon revisite les topoï du printemps et de la reverdie et célèbre la fusion des amants dans le choix du pronom « nous » et l’utilisation des comparaisons. La question inquiète, au centre du poème (« Qu’as-tu fait de ta bouche rouge ? »), fait basculer le poème dans l’élégie : le poète, à la manière de Lamartine, de Verlaine ou d’Apollinaire, déplore la fuite du temps. Le « nous » des premiers vers fait place à la troisième personne qui met l’amour à distance, effet renforcé par l’utilisation du pronom démonstratif (« ceux-là qui s’embrassent »). Comme Orphée, le poète s’est retourné vers son passé, et la femme aimée, telle Eurydice, est désormais pétrifiée dans le souvenir. La « corde », autrefois lien des amants, devient mortifère, comme la corde des pendus. La dernière strophe, par un effet de miroir, fait écho à la première tout en balayant, à la manière des surréalistes, les règles et les conventions de la société bourgeoise rejetée. Aragon s’inscrit ainsi dans une tradition poétique dont il renouvelle le lyrisme amoureux. L’esthétique surréaliste est toujours présente en filigrane, à travers la thématique du rêve. La femme aimée, créature du rêve, permet encore la réunion des contraires : « Ma folle ma belle et ma douce/ Qui avais la beauté du feu/ La douceur de l’eau dans ta bouche ». Mais la métaphore surréaliste a perdu de son pouvoir saisissant. Le temps n’est plus à la recherche de l’image surprenante ou du mot rare, mais à la simplicité, comme en témoigne le lexique utilisé. Dans « Un homme passe sous la fenêtre et chante », Aragon marque ainsi une prise de distance très nette avec le mouvement surréaliste.

L’étude du poème sera prolongée par celle de la photographie de Man Ray qui, comme le tableau de Magritte, peut se lire comme une « réécriture » de la Vénus de Milo et s’inscrit ainsi dans une tradition culturelle et artistique. Celle-ci est néanmoins renouvelée par les techniques modernes créées par l’artiste, notamment la « rayographie » (mot forgé sur le nom de son créateur) qui, fruit du hasard, produit ici des rayons suggérant « l’électricité » du titre, électricité qui semble galvaniser le corps – ou plutôt le buste – de la femme que sa perfection et sa blancheur apparentent à une statue. On demandera aux élèves de trouver des points communs entre les deux œuvres, mais aussi avec les autres poèmes du corpus : idéalisation du corps féminin, nudité et mystère d’une femme ici sans visage, renvoyant à l’éternel féminin.

En guise d’évaluation sommative, on demandera aux élèves un commentaire du poème de Benjamin Péret, « La Semaine pâle ». Forts des analyses précédentes, ils pourront étudier l’image de cette femme-fée insaisissable qui invite le poète à la poursuivre jusque dans le rêve. Constitué de huit strophes, le poème se présente comme une comptine égrenant les jours de la semaine. La première partie du commentaire que nous proposerons en correction lors de la septième et dernière séance, se concentrera sur le lyrisme présent dans l’évocation de la femme désirée dont la fuite structure le poème. De nombreuses images inscrivent « La Semaine pâle » dans la tradition de la lyrique amoureuse : de la rose de Ronsard (« ceinte de roses », v.13) à la fugitive « passante » de Baudelaire, le texte est tissé de références intertextuelles et cette « femme disparue » n’est pas sans évoquer Eurydice. Le registre merveilleux (« elle salua sa sœur la fontaine/ et retourna dans son château », v.11-12) contribue à la fois au caractère enfantin de la comptine – véritable réécriture d’un conte de fées – et à la célébration de la « femme-fée » dont la blondeur illumine le poème tout en contrastant avec les « ombres de ses semblables » (v.15). L’attente du poète est profondément déceptive et le poème s’achève sur un sentiment d’échec : « mais dimanche ne vint jamais/ et je restai dans le fond de la cheminée/ comme un arbre égaré ». Trop paresseux, le prince s’est contenté d’attendre sa blonde princesse au lieu d’aller à sa recherche : non seulement il ne l’a pas trouvée, mais il semble s’être lui-même perdu, comme le laisse entendre la dernière épithète du texte (« égaré »).

Une deuxième partie sera consacrée à la dimension surréaliste du poème qui joue avec la tradition lyrique, comme l’indique d’emblée son titre énigmatique (métaphore de la femme ? de la poésie elle-même ?). Le lyrisme est en effet mis à distance par l’humour et les jeux de mots, à commencer par cette « racine » que tient le poète au lieu d’une rose (v.26). Dans cette étrange comptine, Péret joue sur l’étymologie des jours de la semaine : « Mardi », jour de Mars, les « vents de l’Olympe » soufflent des vers aux accents épiques (strophe 3) ; « Mercredi », jour de Mercure, « elle passa », tel le messager des dieux (v.14-15) ; « Vendredi », jour de Vénus (et « des désirs »), le poète part en quête de la déesse « anadyomène » (« Va-t’en la rechercher […] dans la mer », v.21). Un réseau mythologique traverse le texte mais, comme le lyrisme, le mythe est mis à distance : ainsi, si la présence en filigrane de la figure d’Eurydice évoque le mythe d’Orphée, le poète, lui, n’a plus de lyre… pas même une « flûte », puisque celle-ci est « perdue » (v.24). L’isotopie du souterrain (« disparue entre les pavés », « derrière quelque cervelle », « sous la neige », « racine », « dans le fond ») peut suggérer la descente aux enfers, mais aussi – et surtout – le monde de l’inconscient, comme dans l’extrait de Nadja. Les images insolites ne sont pas sans évoquer, en effet, l’écriture automatique, à l’exemple du vers 6, « le savon fait pleurer les astronomes » : le langage, libéré, échappe au contrôle de la logique et de la raison et permet l’accès au surréel. Au cours de ce dernier exercice, les élèves auront pu réinvestir leurs connaissances sur l’art du collage et l’esthétique de la surprise, nécessaires à une analyse pertinente du poème.

Au terme de cette séquence consacrée à la poésie et au mouvement surréaliste, les élèves auront perçu le lien entre le merveilleux et le quotidien : la poésie, véritable « sorcellerie évocatoire », permet en effet de transcender le réel. Les poètes surréalistes ont renouvelé le lyrisme amoureux en transformant leur muse en femme-fée, proposant la « clef des songes », c’est-à-dire permettant d’accéder à la surréalité, au point ultime où le réel et l’imaginaire se confondent, où les contraires s’annulent. Située en fin d’année, cette séquence prépare à l’étude de la poésie en classe de Première : « Ecriture poétique et quête du sens ». Il serait intéressant, dans cette perspective, d’amener les élèves à découvrir un autre écrivain influencé par le surréalisme, même s’il est surtout connu pour avoir créé, avec Senghor, le mouvement de la Négritude : Aimé Césaire dont le long poème en prose, Cahier d’un retour au pays natal, a été préfacé par André Breton.

Cécile Boisbieux

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